L’indépendance de l’ICANN, Internet Corporation for Assigned Names and Numbers ou en français Société pour l’attribution des noms de domaine et des numéros sur Internet, a fait couler beaucoup d’encre ces derniers temps. Et cela se comprend puisqu’il s’agit de l’autorité de régulation de l’internet. Elle a principalement en charge l’administration des noms de domaine et l’adressage IP.
Cet organisme a été fondé en 1998 sous la forme d’une société de droit californien à but non lucratif. Cette création a été lancée suite à une directive du département du Commerce des États-Unis. Elle a fonctionné jusqu’en septembre 2016 sur la base d’un mémorandum avec ce ministère. Elle a succédé à l’Internet Assigned Numbers Authority (INA) qui était également liée au gouvernement américain.
L’ICANN, malgré son rôle majeur, est méconnu du grand public et même de nombreux professionnels de l’internet. L’ICANN est en effet très discrète. Elle délègue entre autres la gestion des noms de domaine de premier niveau à des organismes. L’AFNIC et Verisign sont par exemple en charge d’administrer le .fr et le .com.
L’indépendance de l’ICANN
Le contrat passé entre l’ICANN et les Etats-Unis stipulait que l’organisme de régulation était sous la tutelle du gouvernement américain jusqu’à ce qu’un certain nombre d’objectifs soient atteints. L’ICANN a fait valoir son droit d’indépendance avant le 30 septembre 2009, date butoir du contrat. La demande a été rejetée par les Etats-Unis, inquiets de perdre la main sur internet.
Dès le 1er octobre 2009, l’Union Européenne a demandé l’indépendance de l’ICANN. L’ONU a été proposée par de nombreux organismes et gouvernements pour assurer le rôle de régulateur. Le gouvernement Bush s’y serait opposé.
En mars 2014, les Etats-Unis annoncent renoncer au contrôle de l’ICANN. Cette initiative fait suite au scandale de l’affaire Snowden. La révélation de l’existence d’un programme de surveillance massive orchestré par la NSA a contraint Barack Obama à céder aux revendications de nombreux pays. La fronde était notamment menée par la présidente brésilienne Dilma Rousseff. Le choix du président américain a également permis de mettre fin aux idées de pays comme la Chine, la Russie et l’Arabie saoudite d’assurer une gestion souveraine du segment national. Ces trois pays avaient émis ce souhait pour la première fois en décembre 2012 lors de la Conférence mondiale sur les télécommunications internationales à Dubaï.
Les Etats-Unis se désengagent finalement en septembre 2016. L’ICANN devient une entité internationale autorégulée et à but non lucratif.
La gouvernance de l’ICANN est désormais assurée par un système multipartite composé des trois instances suivantes: un conseil d’administration exécutif, un tribunal arbitral composé de juges indépendants, et une assemblée générale composée de 4 collèges représentants les gouvernements, la société civile, le secteur privé et la communauté technique.
Le conseil d’administration est présidé depuis mai 2016 par Göran Marby. Les décisions sont prises par consensus et peuvent être bloquées par un système de vote.
Inquiétudes sur l’avenir de l’ICANN
L’indépendance de l’ICANN a été une vue comme une véritable libération par de nombreux états et organisations. Les liens entre les Etats-Unis et l’ICANN étaient au centre de nombreuses inquiétudes. Bernard Benhamou, secrétaire général de l’Institut de la souveraineté numérique (ISN), a expliqué qu’il était très difficile pour des questions de souveraineté qu’un Etat ait la main sur les domaines de premier niveau relatifs à d’autre Etats. La situation de la gestion de domaine de premier niveau géographique comme le .fr ou du fameux domaine de premier niveau .gouv par une société américaine était totalement surréaliste !
Le désengagement des Etats-Unis de l’organisation et les premiers pas de l’ICANN en qualité d’entité internationale auto-régulée et à but non lucratif suscitent des convoitises.
Bien que le travail mené pour garantir l’indépendance de l’ICANN ait fait l’objet de plus deux années de négociations intensives, des gouvernements affichent aujourd’hui leur souhait de peser de tous leurs poids sur l’autorité de régulation.
Le gouvernement Chinois est le plus pressant. Li Yuxiao, membre de l’Académie chinoise du cyberespace et proche du ministre des Affaires du cyberespace, a laissé entendre que son pays était en mesure d’assurer le contrôle des noms de domaine et de l’adressage IP.
En France, la secrétaire d’Etat au Numérique Axelle Lemaire a exprimé sa crainte de voir le secteur privé être en capacité d’orienter les futures décisions de l’ICANN.
Aux USA, Donald Trump, durant sa campagne, s’était fortement opposé à la transmission de la gestion de l’ICANN à une instance internationale. Personne ne peut dire exactement quelle sera l’attitude des Etats-Unis durant le mandat de Mr Trump.
Le nouveau système de fonctionnement de l’ICANN va être heureusement scruté par de nombreux observateurs. Si des faits de censure ou des mesures arbitraires sont prises par l’ICANN, elles feront l’objet, espérons-le, de vives critiques.
Christopher Mondini, vice-président de l’ICANN, est quant à lui confiant pour l’avenir de l’autorité de régulation. Il estime, sans doute avec justesse, que la censure ou toutes autres compromissions de la sécurité du réseau seraient plus probablement l’oeuvre d’un état que de l’ICANN.